Le conflit casamançais, un fardeau politique et sécuritaire pour l’État sénégalais
En trente-huit ans, aucun président
n’a réussi à mettre un terme à la rébellion séparatiste. Retour en deux
épisodes sur la plus vielle guérilla du continent.
Robert
Sagna en est convaincu, « la paix est imminente en Casamance. » Selon
l’ancien ministre et député-maire de la ville de Ziguinchor, le
président sénégalais Macky Sall a les moyens de mettre un terme au plus
vieux conflit d’Afrique.
« Il m’a encore dit récemment qu’il était pressé de voir cette affaire se terminer », confie l’ancien édile.
Il
serait temps. Le conflit qui oppose l’État sénégalais et le Mouvement
des forces démocratiques casamançaises (MFDC), groupe rebelle favorable à
l’indépendance de la Casamance, dure déjà depuis trente-hui ans. Une
guerre oubliée qui a commencé en décembre 1982 par la répression des
manifestations à Ziguinchor, suivie du départ pour le maquis de milliers
de jeunes hommes armés de pioches, de lances et de machettes.
Le
problème serait-il vraiment en passe de se résoudre ? Tout le monde ne
partage pas l’optimisme de Robert Sagna, loin s’en faut. « Le processus
piétine malgré les espoirs du début », déplore l’actuel maire de
Ziguinchor, Abdoulaye Baldé.
Le conflit pèse sur les épaules du chef de l’État comme il a pesé sur celles de ses prédécesseurs.
Pourtant,
à ses prémices, dans les années 1980, Abdou Diouf espère en venir à
bout rapidement. Il mise sur la répression militaire contre les
sécessionnistes. Une erreur funeste, selon Ibrahima Gassama, spécialiste
du conflit casamançais.
« Si
les manifestants avaient été écoutés quand ils exprimaient leurs
colères, il n’y aurait pas eu toutes ces violences », estime le
journaliste.
Sentiment d’abandon
Le
sentiment d’abandon est très fort dans cette langue de terre du sud du
Sénégal. Le manque d’infrastructures et les conflits fonciers entre
autochtones et habitants du nord du pays alimentent la défiance. Une
colère aggravée par le déploiement de l’armée, les combats et la
destruction de nombreux villages. Aujourd’hui encore, 70 % de la
population vit sous le seuil de pauvreté.
Quand
Abdoulaye Wade arrive au pouvoir en 2000, la situation s’est
complètement enlisée. Il a promis, pendant sa campagne, de résoudre le
problème en cent jours. Elu, il fait du dossier une affaire personnelle.
Au point d’exclure tous les acteurs internationaux déjà impliqués dans
les négociations avec la rébellion. « Wade prêchait faux, déplore
aujourd’hui Robert Sagna, le conflit était internationalisé. La
Guinée-Bissau et la Gambie étaient très impliquées. Elles abritaient les
rebelles et leur fournissaient même des armes. »
Ce
changement de stratégie passe à l’époque par un plus grand contrôle de
l’information : les médias sénégalais ne sont plus autorisés à couvrir
le conflit. Des journalistes comme Ibrahima Gassama sont placés sous
surveillance pour leurs liens présumés avec le MFDC. Des fonctionnaires,
surnommés « les Messieurs Casamance », sont chargés d’apporter des
millions de francs CFA aux chefs du maquis pour apaiser les velléités
sécessionnistes, tout en accentuant les divisions au sein du MFDC.
En
2004, des accords de paix officiels sont signés entre le chef de l’État
et le leader charismatique de la rébellion, l’abbé Augustin Diamacoune
Senghor, décédé à Paris, en 2007. Un programme de désarmement, de
démobilisation et de réintégration (DDR) est mis en place pour
accompagner le retour à la vie civile des combattants du MFDC. Mais il
est peu suivi dans les faits.
Coupeurs de bois assassinés
Le
bilan officiel des victimes de cette rébellion, relativement bas,
explique peut-être en partie le manque de volontarisme du gouvernement
pour y mettre un terme. Le conflit a fait « seulement » 4 000 morts en
trente-huit ans, précise Mokhtar Niang, membre de l’organisation le
Centre pour le dialogue humanitaire. « L’État est toujours resté dans sa
zone de confort, car il n’y a jamais eu d’attentats à Dakar et on ne
déplore pas de milliers de militaires tués », estime-t-il.
Élu
en 2012, Macky Sall peut-il vraiment changer les choses ? Lorsqu’il
reprend le dossier casamançais, le nouveau chef de l’État crée un comité
ad hoc chargé de mener les négociations avec le MFDC et dirigé par le
général des renseignements sénégalais, l’amiral Farba Sarr. Sa
composition est tenue secrète. Les discussions s’engagent finalement
avec une seule des quatre factions du MFDC, celle de Salif Sadio. Des
rencontres ont également lieu avec le « comité provisoire des ailes
civiles et politiques » qui affirme aujourd’hui représenter l’essentiel
des membres du MFDC.
Mais
le processus n’est guère fluide. Salif Sadio « est comme un fantôme,
explique une source anonyme proche du dossier. Il peut nous faire
attendre six mois pour une réponse. C’est quelqu’un d’extrêmement
méfiant. Il voit des pièges et des traîtres partout. Ça a créé beaucoup
de difficultés dans les négociations. » Le leader du MFDC ne s’est
d’ailleurs jamais déplacé à Rome, où les pourparlers se tiennent sous le
patronage de la communauté catholique Sant’Egidio, envoyant à sa place
des représentants.
En
janvier 2018, quand treize coupeurs de bois sont retrouvés assassinés
par balles dans la foret de Boffa Bayotte, au nord de Ziguinchor, la
crainte d’un regain de tensions dans la région reprend le dessus. Un an
après, Salif Sadio sort de la clandestinité pour exprimer son impatience
à l’égard du processus de paix initié en 2012. « L’État du Sénégal ne
montre aucune volonté de respecter ses engagements », dénonce-t-il en
avril 2019.
Trafics et contrebande
« L’armée
pense qu’elle peut définitivement régler le problème, car le MFDC est
affaibli. Mais ce n’est pas une guerre conventionnelle : dans une
rébellion, même cinq personnes peuvent créer le chaos », souligne le
journaliste Ibrahima Gassama. « Même si des accords venaient à être
trouvés avec Salif Sadio, les autres factions finiront par les
torpiller, car elles ne se sentent pas considérées. Et d’autres enjeux
comme l’économie de guerre sont venus se greffer au problème, ce qui
fait que beaucoup de gens ne sont pas pressés de voir la paix arriver. »
Trafics de matières premières telles que le chanvre indien, le bois de
rose ou la noix de cajou, et contrebande prospèrent en effet dans les
zones frontalières.
« Les
différents gouvernements ont toujours tout fait pour masquer les
réalités du conflit, notamment parce que le Sénégal est un modèle de
stabilité dans la sous-région. Cette image est importante, car elle
permet au pays de maintenir sa cote auprès des bailleurs de fonds »,
analyse le géographe et spécialiste du conflit, Jean-Claude Marut.
Dans
ce contexte pourrissant, autorités et guérilla semblent condamnées au
statu quo. L’État sénégalais est trop fort pour négocier et la rébellion
trop faible pour céder sur sa seule raison d’être, le combat pour
l’indépendance. Il faut tout l’optimisme de Robert Sagna pour croire le
contraire.