Yakham Mbaye : Attention, chien méchant !
Si ce n’est pas avec ses camarades
de parti, Yaxam Mbaye fait alors face à un opposant ou un allié
indélicat. L’enfant terrible de Rebeuss, défenseur invétéré de Macky
Sall ne recule jamais devant l’adversité. Peint en homme fidèle dans
l’amitié, le belliqueux DG du Soleil, compte aussi des points positifs
dans sa gestion.
La
silhouette de Yakham Mbaye saute aux yeux. Lunette d’intello, costard
et chemise taillés sur mesure, la coiffure soignée et la démarche
fringante. Une approche élégante qui harponne et fixe le regard.
‘’Depuis son enfance, il aime saper’’, lance son ami Soya Diagne.
L’homme a toutes les apparences d’un monsieur pondéré. Mais dans ses
yeux noirs flotte encore un tempérament acerbe.
Depuis
plusieurs mois maintenant, Yaxam Mbaye est constamment au devant de
l’actualité. Celui que le responsable du Pastef Bassirou Diomaye Faye
qualifie de chihuahua s’est donné comme mission ‘’d’aboyer’’ sur tous
ceux qui s’expriment contre les dérives du régime de Macky Sall, en
particulier la famille présidentielle.
El
Hadji Kassé, l’ancien ministre-conseiller au palais en sait quelque
chose, lui qui a été descendu en flamme par Yaxam Mbaye, suite à une
enquête de Bbc portant sur un scandale pétrolier dans lequel Aliou Sall
le frère du président Macky Sall a été cité. Quand Sory Kaba s’est
exprimé sur le troisième mandat de Macky Sall – ce qui lui a valu son
poste de directeur des Sénégalais de l’extérieur – il a été foudroyé par
le tonnerre de l’Apr.
En
fait, chez Yaxam, il y a du venin presque inné, quelque chose de son
passé pas complètement disparu. Diplomatie et pure violence sont chez
lui pacsées, mais pas forcément canalisées. Durant sa jeunesse, ce boy
Dakar était un enfant terrible des quartiers de Rebeuss et de la Médina.
Toujours en première ligne au front. Un élève turbulent, souvent
renvoyé de l’école pour fait grave. Ce sang chaud, toujours pas coagulé,
malgré les années, semble s’exprimer maintenant sur le terrain
politique.
En
attestent ses démêlés avec certains de ses camarades de parti,
notamment Moustapha Cissé Lô. On se rappelle la réplique de Yakham
contre ‘’Baye Guinar’’ sur la nébuleuse qui entoure la distribution des
semences d’arachide. Une attitude qui lui a valu des insultes
inqualifiables de la part de son alter ego du parti.
‘’Mon
histoire avec Cissé Lô a commencé en 2009. Il disputait avec Abdou Mbow
et l’insultait. Je suis intervenu, il a commencé à m’insulter. Depuis
lors, il ne cesse de m’insulter de père et de mère. Je ne voulais pas en
parler mais je ne peux rester dans mon coin et laisser les gens en
faire des interprétations de toute sorte’’, réagissait-t-il dans une
émission de télé.
La
suite on la connaît. El Pistéléro, membre fondateur de l’Alliance pour
la république (Apr) sera exclu du parti. Et cette affaire est loin de
connaître son épilogue.
Vigie du couple présidentiel
Pourtant,
avant 2012, Yakham était classé parmi les journalistes les plus engagés
au Sénégal. Depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, il a mis de
l’eau dans son vin. Nommé Secrétaire d’Etat à la communication de la
présidence en 2014, il est devenu un des plus grands défenseurs de Macky
et son régime. Et il ne le cache pas. Aujourd’hui membre de l’Apr, il
est toujours en première ligne et s’érige en bouclier des Sall et du
gouvernement.
Gare
à ceux qui osent s’attaquer à son Excellence. Madiambal Diagne l’a
appris à ses dépends, suite à sa chronique intitulée : ‘’Finalement, ils
ont fait pire que les Wade avec nos terres’’. De son lit d’hôpital, la
vigie accorde une interview pour rendre la monnaie au patron du journal
Le Quotidien.
‘’Des
parties de mon corps sont malades, mais pas ma tête et ma bouche. C’est
suffisant pour faire mon autre job, à part Directeur général du
quotidien national Le Soleil : combattre par le verbe, en conformité
avec mon engagement envers Macky Sall, tous ceux qui veulent et tentent
de lui porter tort par divers moyens déloyaux dont la diffusion de
fausses nouvelles’’, disait-il.
En
fait, Yakham Mbaye est décrit comme un homme loyal en amitié. Quelqu’un
qui ne lâche pas ses camarades, surtout ses amis d’enfance. ‘’ Il n’a
peur de rien pour défendre un ami qui est attaqué’’, lance un de ses
anciens collaborateurs. ‘’Il est prêt à mourir pour défendre ses amis’’,
confirme Soya Diagne son ami d’enfance.
Plus
qu’une amitié, c’est plutôt une nature. L’homme ne se fixe presque pas
de limite dans ses actes. Ainsi, Yakham peut avoir une attitude
téméraire qui le pousse à défier parfois les autorités. Ancien Président
de la République du Sénégal, Abdoulaye Wade avait pris la décision de
surveiller les publications de la presse en envoyant des agents de la
Direction de la surveillance du territoire (Dst) dans les rédactions. A
l’époque, l’actuel patron du Soleil était le Directeur de publication du
quotidien Le Populaire. ‘’Yakham venait au bureau tranquillement pour
faire son bouclage. Ensuite, il prend son Pdf pour aller à pied à
l’imprimerie au nez et à la barbe des agents des services secrets qui
pointaient à la rédaction’’, se souvient un de ses anciens reporter.
Membre de la famille mouride
Aujourd’hui,
la cinquantaine révolue, ce polygame père d’un enfant garde toujours
les reflexes d’un Ceddo. Très tôt orphelin de père (décédé en 1980),
Yakham entretien des relations étroites avec sa maman de 90 ans. Le
Directeur du Soleil est aussi un fervent mouride et disciple de Serigne
Fallou, d’ailleurs son fils porte son nom. ‘’Il ne jure que par
Fallou’’, sourit Soya.
Selon
ce dernier, Yakham Mbaye est plus qu’un mouride. ‘’Son père et Serigne
Gaindé Fatma sont des cousins germains’’, informe-t-il. D’ailleurs le
papa de Yakham était aussi un proche de Serigne Fallou. Ce dernier lui
avait même confié ses champs qui se trouvent dans le Walo. ‘’C’est
pourquoi certains des enfants du père de Yakham sont nés là-bas. Plus
qu’un talibé il fait partie de la famille mouride’’, soutient Soya.
Née
vers le début des années 70 d’un père d’origine Walo-walo et d’une mère
Cayor-cayor, Yakham Codou Ndéné Mbaye a passé une partie de son enfance
à Richard Toll avant de rejoindre la capitale vers les années 80 pour
poursuivre ses études. Il est inscrit au Lycée Lamine Guèye. Mais en
1981, il est exclu de l’établissement pour faits graves. Il est accepté à
Blaise Diagne, mais il remet ça la même année. Il prend la porte à
nouveau pour fait de grève.
L’incorrigible
sera admis finalement a Madièye Sall. C’est là-bas qu’il décroche son
Bfem. Il est orienté de nouveau au Lycée Lamine Guèye où il décroche son
Bac en 1991. Ce diplôme en poche, l’enfant de Rebeuss s’envole pour la
France afin de poursuivre ses études. Mais il ne fera que deux ans à la
Fac de Droit à l’université de Reins avant de faire son retour au
bercail pour entamer une carrière de journalisme.
Patron ‘’Samba Alaar’’
C’est
sur le tas que Yakham apprend les préceptes du journalisme. Pape Samba
Kane, son ancien maître de stage au quotidien Le Matin, se souvient.
‘’C’est quelqu’un qui a le courage de ses opinions. Il voulait se
cultiver et il lisait beaucoup. Il a su apprendre le métier avec
beaucoup d’engagement et de passion’’, disait-il à Rfm.
Mais
c’est au groupe Com7 fondé par Bara Tall, Youssou Ndour et Cheikh Tall
Dioum que Yakham Mbaye s’est révélé au grand public. Il a d’abord été
responsable de l’actualité internationale avant d’être promu Directeur
général du groupe de 2002 à 2010. Il occupait en même en temps les
fonctions de Directeur de la radio 7 Fm et des publications Tract, Info7
et Le Populaire. Comme avec Macky Sall aujourd’hui, Yaxam a défendu
sans réserve l’homme d’affaires Bara Tall, alors en conflit avec le
régime de Wade. Par sa plume, il s’était attaqué à des organisations
patronales qui, à ses yeux, n’avaient pas suffisamment défendu le patron
de Jean Lefebvre Sénégal.
En
mars 2010, Yakham Mbaye démissionne de Com7 pour fonder, en octobre
2011, le quotidien Libération. Avec une équipe de jeunes reporters
réputés, débauchés par-ci, par-là, Libération démarre avec une allure
prometteuse. Mais l’ambiance au sein de l’entreprise deviendra vite
délétère. Certaines de ses collaborateurs ne sont pas en mesure de gérer
les humeurs de Directeur.
Un
d’entre eux témoigne : ‘’Yakham Mbaye, c’est le prototype du « Samba
Alaar », adulé en dehors, méprisé de l’intérieur, le genre de personnes
avec qui on ne pourrait passer une semaine dans une maison parce
qu’inhumain et invivable.’’ Une autre ajoute : ‘’Il ne mérite que
mépris, le voir à la télé en train de gueuler me rappelle que ma
télécommande a des piles. Je me demande pourquoi on ne pas s’appliquer
pas les conseils qu’on donne à autrui.’’
Cette
situation qui est à l’origine de départ de plusieurs journalistes sera
accentuée par la tension de trésorerie que connaissait le journal. Et
pourtant au moment où certains de ses travailleurs courraient derrières
des arriérés de salaire, l’ancien secrétaire d’Etat à la communication
offrait de l’argent dans d’autres circonstances. ‘’C’est très facile de
donner 100 mille francs à gauche et à droite ; mais avoir de la classe,
c’est plutôt faire face à ses engagements envers ses employés, par
exemple, leur tenir un langage de vérité à défaut de pouvoir respecter
ses devoirs’’, regrette un ancien journaliste de Libération.
Relations tumultueuses au Soleil
Mais
en juillet 2014, Yakham quitte la direction du quotidien Libération au
profit de Cheikh Mbacké Guissé, après avoir été nommé secrétaire d’Etat à
la communication sous le gouvernement de Boun Abdallah Dionne. Au bout
de trois ans au palais, il est remercié par Macky Sall. Une décision qui
a été mal digérée par le responsable Apr de Dakar-Plateau. Il décide de
démissionner en septembre 2017 du secrétariat exécutif national du
parti. Bluff où stratégie pour mettre la pression sur Macky Sall pour un
poste de recasement ? Dans tous les cas, le coup est réussi, car il
sera nommé quelque temps après, Directeur général du journal ‘’Le
Soleil’’.
Pour
certains, cette décision était plutôt une stratégie, bien mûrie par le
camp de la mouvance présidentielle. A quelques de mois de la
présidentielle de 2019, il fallait trouver un fidèle à Macky pour vanter
le bilan du gouvernement. Yakham était sans doute le profil idéal.
Seulement,
au sein de la boite, le climat tendu qui a prévalu durant les 10 ans de
Cheikh Thiam, persiste toujours. Le syndicat maison qui a longtemps,
réclamé le départ de l’ancien directeur, fustige sa gestion du nouveau.
Pour certains, il n’a même pas les diplômes requis pour diriger Le
Soleil. Mais pour Yakham, là n’est pas le problème. ‘’Il ne s’agit pas
d’avoir des diplômes ou pas. La question est de savoir si je gère le
journal de manière correcte où pas. Si je l’ai transformé en journal du
parti Apr où pas’’, rétorque-t-il à ses détracteurs.
La
première décision prise par Yakham qui est l’origine du bras de fer,
c’est le non paiement des primes de performance tirées des fonds
communs. Cette prime équivaut à 10% des recettes publicitaire de
l’année, sans pouvoir dépasser 200 millions, selon l’article 55 de
l’accord-cadre signé avec l’ancien DG.
Après
l’avoir payée une fois à son arrivée, Yakham a décidé d’y mettre fin,
estimant que l’entreprise traverse des moments difficiles et qu’elle est
sous perfusion de près d’un milliard de F Cfa de l’Etat par an. Cette
décision fait partie des origines d’un climat insoutenable au Soleil. Il
s’ensuit des limogeages dont le plus rocambolesque est celui de Madame
Croquette pour délit ‘’d’éternuement’’. A ce jour, Yaxam est à 3
licenciements-réintégrations. Celui qui veut avoir zéro à son compteur
au moment de partir a encore licencié un autre, Mbaye Sarr Diakhaté. En
attendant sa réintégration ! En fait, l’homme essaie d’installer un
climat de la terreur, tout en essayant de domestiquer les syndicalistes.
Il y a tout de même des mouvements humeurs, et même des plaintes contre
Yakham pour avoir proféré des menaces de mort à l’encontre d’un
syndicaliste.
Un noctambule ‘’fou du travail’’
Pourtant,
malgré ses relations autrefois tendues avec les syndicalistes, Yakham a
apporté sur le plan social beaucoup de choses. Près d’une trentaine de
prestataires, qui était dans cette situation depuis plus d’une dizaine
années, ont été régularisés. ‘’Sur le plan social, je peux dire qu’il a
beaucoup apporté au Soleil en régularisant beaucoup de reporters. Il a
aussi responsabilisé beaucoup de jeunes au Soleil’’, témoigne un
journaliste du quotidien national Le Soleil. ‘’Je n’ai aucune relation
particulière avec lui, mais je vois qu’il veut faire des efforts pour
réussir sa mission. Et depuis qu’il est là, il paie les salaires à
temps’’, ajoute-t-il.
Si
certains pensent que Yakham a été choisi pour diriger le Soleil parce
qu’il a fini de prouver ses qualités de défenseur de Macky Sall,
d’autres reconnaissent son dévouement au travail dans le journalisme.
‘’Yakham est un fou du travail. Il participe à la collecte de
l’information et ne rate jamais les bouclages de son journal’’, confie
un de ses proches à Libération.
Yakham
fait partie de la race des Directeurs de publication qui sont prêts à
rester à la rédaction jusqu’au matin pour s’assurer que le bouclage du
journal est bien fait. En fait, le patron du Soleil est une couche tard.
Un vrai noctambule qui débarde à la rédaction à des heures à laquelle
presque tous ses reporters sont rentrés. Ce qui fait qu’il entretient
des relations pas très conviviales avec ses travailleurs. ‘’Je le voyais
tout simplement de loin et très rarement’’, confie un journaliste.
Mais
aujourd’hui grâce à une médiation menée par d’anciens travailleurs du
Soleil et des responsables syndicaux, la hache de guerrier est enterrée à
la SSPP Le Soleil. Mais une autre histoire le met au devant de la scène
: celle qui l’oppose à Moustapha Cissé Lo. Comme pour dire que Yakham
garde toujours son attitude belliqueuse.