L’appel du 18 juin du général de Gaulle, 80 ans après : « C’était notre seul espoir »
Le 18 juin 1940, le général de Gaulle prononce sur la BBC son célèbre appel invitant les Français à poursuivre le combat. Son message n’a pourtant que peu d’audience à l’époque. Des médaillés de la Résistance se souviennent toutefois l’avoir entendu. Quatre-vingts ans après, ils racontent ce moment décisif, point de départ de leur engagement.
« Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. » Le 18 juin 1940, c’est ainsi que le général de Gaulle conclut son allocution radiophonique. Installé dans un studio de la BBC, cet officier français encore inconnu ne sait pas encore que son appel va entrer dans l’Histoire.
À des centaines de kilomètres de là, dans une maison près de Poitiers, une jeune femme de 18 ans, Odile de Vasselot, vient d’entendre ces paroles. Réfugiée avec sa famille chez son grand-père paternel à la suite de l’invasion allemande, elle allume la radio juste à ce moment-là. « J’étais montée dans ma chambre au moment des informations. Je n’ai entendu que la fin malheureusement », raconte-t-elle. « Je le connaissais car mon père était officier à Metz où de Gaulle avait été colonel au 507e régiment de chars de combat. Je savais qu’il n’était pas très bien vu par le commandement suprême. Alors quand je l’ai écouté, je me suis dit ‘mais qu’est-ce qu’il invente encore ? Il va se faire taper sur les doigts ! »
« Il y a encore de l’espoir »
Odile descend immédiatement au salon pour raconter ce qu’elle vient d’entendre. Elle y retrouve ses parents et son grand-père, lui-même général : « Il avait beaucoup milité en faveur des théories du colonel de Gaulle. Il disait que c’était le seul militaire intelligent parce qu’il prônait une armée motorisée qui se déplacerait rapidement ». Charles de Gaulle, fraîchement nommé général en mai 1940, n’est alors connu que par un cercle restreint de parlementaires et de militaires qui ont lu son livre-manifeste, « Vers l’armée de métier », dans lequel il expose ses conceptions de la guerre moderne.
Au lendemain du discours du maréchal Pétain annonçant la demande d’armistice auprès des Allemands, le grand-père d’Odile, qui a consulté cet ouvrage, se réjouit immédiatement de cet appel : « Il a dit : ‘Je le savais ! Je le savais ! La guerre n’est pas encore finie ! Il y a encore de l’espoir !’ ». Dans cette famille de militaires de carrière, l’arrêt des combats ne passe pas. Le ralliement à de Gaulle est immédiat : « Nous avons tout de suite été gaullistes. Pour moi, les Boches n’avaient pas le droit d’être en France et il fallait les jeter dehors ».
« Il fallait continuer la guerre »
Plus au Sud, sur la côte méditerranéenne, à Palavas-Les-Flots, Yves Meyer est lui aussi à l’écoute de la BBC. Ce parisien âgé de 16 ans, qui a fui la capitale avec sa famille d’origine alsacienne, se trouve dans un café. Contrairement à Odile, il a peu d’informations sur cet officier qui a gagné Londres pour continuer la lutte. « L’appel ne m’a pas marqué. De Gaulle était peu connu. Il n’avait pas un passé qui permettait de porter un jugement. Ce qui m’a le plus marqué, c’est l’incompréhension de signer un armistice. Il fallait continuer la guerre, partir en Afrique du Nord ou dans les colonies. Cela me paraissait assez logique », décrit-il.
Yves et Odile font partie des rares personnes à avoir entendu en direct ce discours désormais passé à la postérité. À l’époque, les Français ont bien d’autres occupations que d’écouter la radio anglaise. Ils viennent de vivre des semaines d’angoisse après l’offensive allemande du 10 mai. Des millions de personnes sont parties sur les routes pour fuir l’ennemi. Ils n’entendront parler de l’appel de Gaulle que par les journaux du lendemain ou par le bouche à oreille. À Pornic, dans l’ouest de la France, où elle a trouvé refuge après avoir quitté la région parisienne, Michèle Agniel entend parler de ce général en allant faire des courses quelques jours plus tard. « Des gens disaient ‘vous avez entendu, il y a un général à Londres qui appelle à continuer la guerre contre les Allemands’. Dès que nous sommes rentrés, nous nous sommes mis sur la BBC pour essayer de l’entendre, mais c’était difficile car les Allemands brouillaient les ondes. On l’a finalement entendu le 20 ou le 21 », se souvient-elle.
Comme beaucoup de Français, elle n’avait jamais entendu parler de lui. : « Je me suis même dit qu’il avait pris un pseudo quand j’ai appris qu’il s’appelait De Gaulle », plaisante-t-elle. « En tout cas, il disait exactement ce que nous avions envie d’entendre. Nous nous étions tellement sentis honteux et misérables de voir le maréchal donner la France aux Allemands. Mon père avait fait la guerre de 1914 et il en avait gardé un souvenir atroce. Depuis ce jour-là et même après la fin de la guerre, nous sommes restés des gaullistes enthousiastes écoutant tous les soirs Radio-Londres ».
Dans sa Sarthe natale, Guy Jarry a également pris connaissance de ce discours quelques jours plus tard grâce à un groupe d’amis. Après avoir vu des milliers de personnes traverser sa ville de La Flèche au cours de l’exode, il fulmine et veut faire quelque chose. Âgé seulement de 14 ans, ce fils de Poilus répond à l’appel du général : « C’était notre idéal, notre seul espoir. On était fâché contre Pétain. Il symbolisait la défaite. C’était l’occasion pour nous de rentrer dans la Résistance ».
Un engagement précoce
Odile, Yves, Michèle et Guy vont tous emprunter ce chemin. Le 18 juin aura été déterminant dans leur engagement. De retour à Paris, Odile débute par de petites actions en arrachant des affiches et en dessinant des Croix de Lorraine, puis elle rejoint un réseau de renseignement et ensuite d’évasion d’aviateurs alliés. Yves tente de passer en Espagne, mais sans succès. Il intègre plusieurs maquis, en Maurienne, puis en Normandie. Dénoncé, il est arrêté et déporté en juillet 1944 vers l’Allemagne. Michèle connait elle aussi l’internement et la déportation. Toute sa famille, engagée dans la résistance, est arrêtée en avril 1944 pour avoir caché des pilotes et produit des faux papiers. Son père meurt à Buchenwald, tandis qu’elle survit avec sa mère à Ravensbrück. Guy monte un groupe avec d’autres jeunes. Il vole des armes pour les camoufler, mais est lui aussi arrêté puis déporté en 1943. Il connaîtra les camps de Mauthausen et de Gusen. Tous les quatre recevront par la suite la médaille de la Résistance.
Quatre-vingt ans plus tard, l’appel du général de Gaulle résonne toujours en eux. Michèle Agniel ne manque habituellement jamais une commémoration, mais cette année, elle a dû se résigner à ne pouvoir y assister en raison de la pandémie de Covid-19 : « Cette date est très importante pour moi car elle crée la résistance. Le 18 juin rassemble tous ceux qui dès le début se sont embarqués dans ce combat. Il y en a peu qui restent ». Pour Guy Jarry, cela a aussi été un véritable déclencheur : « Sans De Gaulle, je ne sais pas si on l’aurait fait. On était contre les Allemands d’accord, mais c’est lui qui a déclenché la résistance. Je referai exactement la même chose pour défendre notre pays. On avait l’esprit de sacrifice pour la France et pour le général ».
Yves Meyer espère pour sa part que ces commémorations permettront de faire passer un message aux plus jeunes. « Quand je vais à leur rencontre dans des établissements scolaires, je leur dis de rester sceptiques. Quand j’étais enfant, on nous disait toujours que nous allions vaincre car nous étions les plus forts. On a vu le résultat en 1940. Il faut garder un sens critique et ne pas tout prendre pour argent comptant », insiste cet ancien déporté libéré en avril 1945 par les Américains à Osterburken, en Allemagne. À travers l’anniversaire du 18 juin, Odile de Vasselot souhaite également transmettre les valeurs de la Résistance. Pour elle, elles sont toujours d’actualité : « Je ne suis pas là pour évoquer des histoires passées, mais pour dire aux jeunes qu’il ne faut jamais baisser les bras et se dire que c’est fichu. Il y a toujours une solution et quelque chose à faire ».