Finalement, ils ont fait pire que les Wade avec nos terres
Quand on évoque le souvenir du régime de Abdoulaye Wade (2000 à
2012), les esprits sont marqués par les actes de prévarication de
ressources publiques. Le Sénégal avait été mis en coupe réglée et tout
le système était organisé aux fins d’un enrichissement on ne peut plus
grossier des élites du pouvoir. Mais c’était surtout dans la gestion du
patrimoine foncier de l’Etat que Abdoulaye Wade a posé les actes les
plus ignobles. Il avait fini de passer sa boulimie foncière à tous ses
collaborateurs. Les terres du Sénégal étaient dépecées pour être
distribuées à des pontes du régime Wade, qui se transformaient en de
vulgaires spéculateurs fonciers. Des fortunes avaient été ainsi
fabriquées. Le chef de l’Etat lui-même, prenait une règle et un crayon
pour découper des parcelles de terres. A la faveur de l’enquête
judiciaire qui avait été ouverte contre l’ancien directeur des Domaines,
Tahibou Ndiaye, à l’arrivée du Président Macky Sall au pouvoir, on
découvrit qu’il arrivait au Président Wade de survoler Dakar à bord d’un
hélicoptère pour repérer les espaces de terres à se partager. Abdoulaye
Wade se servait toujours en premier. Ainsi, il s’était aménagé pour
lui-même et sa propre famille des domaines fonciers larges de plusieurs
hectares dans les endroits les plus prisés de Dakar, comme les
différentes Corniches, la zone du Cap Manuel, les différentes plages de
Dakar, les quartiers des Almadies, de Ngor, des immeubles du
centre-ville de Dakar, entre autres. Abdoulaye Wade lotissait des camps
militaires, des casernes, des réserves forestières. Il avait fait
entailler, sur instigation de son architecte-conseil Pierre Goudiaby
Atepa (l’intéressé le révéla lui-même dans les colonnes du journal Le
Quotidien), plus de 75 hectares des surfaces de l’aéroport international
Léopold Sédar Senghor, pour en faire des lotissements de terrains
vendus au prix fort. Les terres étaient cédées à moins de 5 mille francs
le m2 à Mbackiyou Faye, qui les aura revendues, à plus de 150 mille
francs le m2, suite à une action de courtage du Président Wade lui-même.
Abdoulaye Wade ne s’interdisait de toucher à aucune portion de terre,
jusqu’au stade Assane Diouf de Rebeuss, et les hôpitaux et camps
militaires. Il se disait même qu’il avait fait chasser l’Armée française
afin de pouvoir mettre la main sur les vastes superficies de ses camps
installés au Sénégal. Le régime de Abdoulaye Wade poussait la
spéculation foncière jusque dans les zones rurales et agricoles.
Abdoulaye Wade avait fait main basse sur des centaines d’hectares de
terres agricoles notamment à Bambylor et plus de 240 mille hectares de
terres de la communauté rurale de Mbane avaient été distribuées à des
pontes du pouvoir, alors que la superficie disponible ne dépassait pas
180 mille hectares. Abdoulaye Wade n’épargnait pas le patrimoine bâti de
l’Etat. Il était donc difficile de faire pire que lui.Dès 2013 on alertait : «Macky, le risque de faire pire que Wade»On
avait donc déjà appris avec Abdoulaye Wade tout ce qu’il ne fallait
plus faire. Dans le cortège d’une marche de l’opposition, nous
commentions avec un groupe de leaders politiques, dont feu Ousmane Tanor
Dieng, Jean-Paul Dias et Abdoulaye Bathily, des informations, publiées
par la presse, de la cession à vil prix par le régime de Abdoulaye Wade
d’appartements et de villas à Mermoz, dans Dakar-Plateau, à Fann
Résidence et à la Cité Fayçal, à des membres de son entourage. Avec
Wade, si vous occupiez un logement de fonction et que vous étiez dans
les bonnes grâces de son régime, il suffisait de savoir demander qu’il
vous fût cédé. Ousmane Tanor Dieng tirait la conclusion sentencieuse :
«De toute façon, une fois au pouvoir nous leur ferons payer le juste
prix ou ils rendront les villas ou appartements.»Le 25
février 2013, dans une chronique intitulée : «Macky, le risque de faire
pire que Wade», nous relevions : «Que n’a-t-on pas dit de la gouvernance
prédatrice de Abdoulaye Wade notamment sur la gestion du patrimoine
foncier de l’Etat ? La façon dont les réserves foncières de l’aéroport
de Dakar avaient été dépecées avait choqué. Ces terres avaient été
aliénées dans le cadre d’une opération qui a généré des ressources
publiques importantes et qui n’ont nullement été tracées dans le Trésor
public (…) On pensait que plus jamais de telles pratiques n’auraient
cours, surtout que le Président Macky Sall porte en bandoulière un
slogan de gestion vertueuse. Force est de constater que le cauchemar
continue, que le gouvernement, après moins d’une année de gestion des
affaires publiques, s’illustre négativement par des pratiques peu
orthodoxes. La corruption est bien présente et constitue l’une des
principales tares de l’équipe dirigée par Abdoul Mbaye.Dans
son édition du 18 février 2013, le journal Le Quotidien révélait un
nouveau gros scandale foncier. L’Etat du Sénégal venait de signer avec
les entreprises Socabeg et Dms Habitat, des protocoles pour un montant
de 6,8 milliards de francs pour l’acquisition de terrains pour ériger
des logements sociaux dont le Président Macky Sall a annoncé la
réception des clefs pour le mois de juillet 2013 (Ndlr : ironie du sort,
ces villas ne sont toujours pas livrées, sept bonnes années après). Une
partie du paiement sera réalisée par le biais d’une dation en paiement.
Cela ne rappelle-t-il pas le montage du Monument de la Renaissance
africaine ? Cette nouvelle affaire tourne en une véritable opération
d’escroquerie portant sur des deniers publics. En effet, l’Etat du
Sénégal achète des terrains qui lui appartiennent déjà, au prix de 10
mille francs le m2. Ces terrains de Tivaouane Peulh constituent des baux
que l’Etat du Sénégal se proposait d’allouer à ces opérateurs
immobiliers pour moins de mille francs Cfa le mètre carré. Autrement
dit, l’Etat du Sénégal se permet d’acheter ce qui juridiquement lui
appartient déjà. Les services fiscaux auraient élevé, en vain, une
protestation face à cette forfaiture. Ils avaient du reste fait de même
lors des opérations de découpage des terres de l’aéroport Léopold Sédar
Senghor. Le gouvernement de Abdoul Mbaye est dans la même logique. (…)
Franchement, on ne pouvait pas s’imaginer que le schéma des terres de
Bambylor soit réédité sous le magistère du Président Macky Sall.» Mais
plus grave, on ne s’imaginait pas, non plus, que le nouveau régime
politique avait aussi appris de son prédécesseur comment dénicher des
lopins de terres à se partager.
Ces nouveaux scandales fonciers qui éclaboussent Macky Sall
Selon
l’entendement général, il ne restait plus de terres à Dakar après le
passage de Abdoulaye Wade. Mais on aura la preuve du contraire. Macky
Sall avait dénoncé les attributions foncières scabreuses du régime
défunt et avait promis que plus jamais de telles pratiques ne seraient
tolérées. Il avait chargé le Pr Moustapha Sourang d’élaborer un rapport
sur la question foncière. Des consultations furent faites sur l’ensemble
du territoire national pour voir clair sur tous les litiges et proposer
des réformes sur la question foncière au Sénégal. Mais très rapidement
le régime de Macky Sall a pris le pli de son prédécesseur. Des terrains,
en veux-tu, en voilà. On se nourrit toujours sur la bête. Les cas sont
légion et on en oublierait même ! Dès 2014, une nouvelle opération de
morcellement de parcelles a été effectuée sur les réserves foncières de
l’aéroport de Dakar. Mais le plus sulfureux est à venir. Sous le
prétexte de donner des lots de terres de 200 mètres carrés à quelque 300
personnes, victimes de spéculateurs fonciers sur un projet de la cité
Tobago, une superficie de 60 hectares vient d’être morcelée, sur les
réserves de l’aéroport de Léopold Sédar Senghor. Cette surface va du
siège de la Boa au hangar de l’avion de commandement du président de la
République. Des hauts fonctionnaires, des responsables politiques, des
chefs religieux, des journalistes, ont été servis. Ces terrains sont
aujourd’hui revendus au prix moyen de 50 millions de francs l’unité de
200 m2. Un rapide calcul donne une idée des énormes gains réalisés. Les
bénéficiaires du lotissement sur le Tf 5725/DG aux abords de l’hôtel
Radisson sont encore plus heureux, car le mètre carré sur ce site est
cédé à 1 million de francs. Ce site qui provoque les hurlements de
Barthélemy Dias, le maire de la commune Mermoz-Sacré-Cœur, a été partagé
à des autorités politiques, des hauts fonctionnaires, des guides
religieux, des personnalités étrangères et des opérateurs économiques.
Le titre foncier numéro 17861/DG constituant le camp militaire Leclerc
au quartier Liberté VI, a été découpé pour les mêmes catégories de
personnes. Un guide religieux s’y est vu offrir un lot de 9 hectares
qu’il a immédiatement revendu à plus de 5 milliards de francs. Une
partie du camp militaire de l’armée de l’Air a été morcelée en 63
parcelles de 500 m2, distribuées à des autorités militaires et des
personnalités civiles. Le Haut commandement de l’Armée nationale avale
difficilement la pilule, du fait qu’il existait sur le site un projet
d’érection du siège de l’Etat-major de l’armée de l’Air. A quelques
encablures de ce site, un beau domaine surplombant la mer et la Mosquée
de la Divinité a été affecté à un opérateur qui y construit un hôtel. Un
autre opérateur économique a bénéficié d’une autre affectation foncière
sur la falaise protégeant la zone côtière, sur le flanc de la colline
du phare des Mamelles, derrière les immeubles en construction de la
Caisse des dépôts et consignations. De l’autre côté du phare, sur
l’ancien champ de tirs, affecté en son temps par Karim Wade au projet
hôtelier du groupe Kharafi et qui devait également abriter des villas
présidentielles pour le Sommet de l’Organisation de la conférence
islamique en 2008, une certaine bamboula a été organisée. Des groupes de
citoyens déclarés protecteurs de l’environnement protestent
vigoureusement contre ces affectations foncières. L’ancienne gare
routière «Pompiers» a été donnée à des promoteurs immobiliers marocains
et une partie de la caserne de police Abdou Diassé est tombée dans
l’escarcelle des opérateurs immobiliers. La zone du hangar des pèlerins
de l’aéroport de Yoff vient de faire l’objet d’un nouveau lotissement en
400 parcelles de 250 m2. Les attributaires les revendent au prix de 75
millions de francs Cfa. Sur la Corniche Ouest de Dakar, les terres
controversées jouxtant l’hôtel Terrou-Bi ont fini d’être définitivement
affectées. Le périmètre qui était affecté pour la construction de
l’Ambassade de Turquie, un projet contre lequel s’étaient soulevés des
habitants de Dakar, a été réaffecté. Une extension a aussi permis de
servir d’autres personnalités. Le Président Macky Sall avait fait
stopper le lotissement de la bande des filaos de Guédiawaye, sur une
longueur de plusieurs kilomètres, entre la plage Malibu et le village de
Malika. De nombreux lots de terrains devaient revenir à des proches de
Ousmane Sonko, le leader de Pastef. Mais curieusement, le lotissement a
été repris et devrait passer prochainement devant la Commission de
contrôle des opérations domaniales (Ccod). On relèvera que ce
lotissement en parcelles à usage d’habitations trahit le Plan
d’aménagement urbain de Dakar qui destinait la zone à l’érection de
réceptifs hôteliers et autres endroits de villégiature longeant la
future «autoroute la côtière». L’affectation de grands espaces de terres
à Pointe Sarène, à un opérateur économique qui n’a pas tardé à les
revendre à prix d’or, défraie la chronique.Par ailleurs, on a
fini de constater que des dizaines d’hectares de terres de la nouvelle
ville de Diamniadio ont été allouées à des particuliers qui se sont
livrés à des opérations de spéculation foncière. De vastes terres qui
n’ont pu être vendues font déjà l’objet d’hypothèques. Le nouveau
Délégué général du Pôle urbain de Diamniadio, Diène Farba Sarr, a du mal
à reprendre ces terres qui n’ont pu être mises en valeur. Toujours à
Diamniadio, d’autres opérateurs immobiliers ont bénéficié d’affectations
foncières pour des logements sociaux, mais ont réalisé sur les sites
des logements vendus à des centaines de millions de francs Cfa. Les
lotissements entamés par le régime de Wade à Bambylor, Sangalkam et le
Lac rose ont pu être poursuivis.Les parangons de vertu à la bouche pleineIls
sont nombreux à vouloir s’indigner devant des scandales de
prévarication de ressources publiques. Mais la question foncière s’avère
assez délicate pour nombre d’entre les parangons de vertu de la scène
publique sénégalaise. Elles sont nombreuses, ces vigies de la bonne
gouvernance, journalistes, leaders de la Société civile, activistes,
hommes ou femmes politiques, qui se taisent comme des carpes dès qu’il
s’agit de ces questions foncières, ou qui font une dénonciation
sélective, tant certains se sont fait servir à l’occasion. «Une bouche
pleine ne parle pas», dit un proverbe africain. Cela explique la
confusion de bien des personnalités sur la question foncière, mais
l’opinion constate bien ce silence. Ils sont nombreux, journalistes et
hommes politiques, à s’être égosillés sur l’affaire du Tf 1451/R,
indexant un prétendu scandale qui aurait porté sur 94 milliards de
francs. Il est fort utile de dénoncer des actes de prévarication et pour
autant on ne les a jamais entendus sur le lotissement de la «zone de
recasement» de l’aéroport de Yoff, effectué sous le régime de Macky
Sall, comme on ne les avait jamais entendus du reste et jusqu’à présent,
dénoncer le dépeçage de plus de 80% de la superficie du site de la
Foire de Dakar par le régime de Wade. On entend de nombreuses personnes
fulminer, certainement à juste raison, contre les lotissements au pied
du phare des Mamelles. C’est sans doute une belle posture patriotique,
mais protéger le littoral pour protéger le littoral de Dakar, ne
devrait-on pas aussi parler de certains projets immobiliers du Cap
Manuel ou derrière l’hôtel Terrou Bi ? Qu’on nous appelle tous à montrer
nos mains propres ! C’est dans l’air du temps, avec les mesures de
prophylaxie contre la pandémie du Covid-19. Le Sénégal ne s’en porterait
que mieux !