Mahammed Boun Abdallah Dionne : « Les décisions prises par le Chef de l’État fondent leur pertinence d’une analyse objective… »
Monsieur le Ministre d’État, le
Président de la République vient de prendre des mesures
d’assouplissement dans le cadre de la lutte contre le COVID-19. Quelle
en est votre appréciation ?
Je
voudrais d’abord saisir l’occasion que vous m’offrez pour saluer encore
une fois, le consensus global qui accompagne la définition et la mise
en œuvre de la stratégie nationale de riposte face au COVID-19. Bien
qu’étant désigné par la Constitution comme celui qui définit et
détermine la politique de la nation, le Chef de l’État a souhaité, dès
la survenance de la pandémie sur le territoire national, rencontrer
toutes les forces vives du pays, pour recueillir leurs points de vue et
fédérer les énergies. Aujourd’hui, les sénégalais dans leur grande
majorité et dans toutes leurs composantes, les forces politiques, la
société civile, le secteur privé national, les syndicats de
travailleurs, le monde associatif, les mouvements citoyens, tous,
accompagnent ce consensus autour du Président de la République et il
faut s’en féliciter. Il y a également que le Président Macky Sall a une
écoute attentive et permanente des pulsions du peuple, en tant que
garant de l’équilibre social. Il vient encore de le démontrer dans son
message à la nation, le lundi 12 mai, à propos de la requête des
sénégalais de la Diaspora relative au rapatriement des personnes
décédées du COVID-19 à l’étranger. C’est de cette double posture de
dialogue et d’écoute qu’il faut analyser les nouvelles décisions prises
par le Chef de l’État dans le cadre de la riposte contre cette pandémie.
Le Chef de l’État a parlé d’adaptation pour fonder ces nouvelles mesures. Qu’en dites-vous ?
Oui
s’il n’y avait qu’un seul mot à retenir du message à la nation du
Président de la République, c’est bien le mot « adaptation ». Il faut dire
en effet que les décisions prises par le Chef de l’État fondent leur
pertinence d’une analyse objective qui a impliqué des experts sénégalais
de haut niveau et très au fait des réalités scientifiques, économiques
et épidémiologiques, qui ont travaillé sur des scénarii et de la
prospective. Leur conclusion a été que nous tournions à présent au tour
du pic, la période à partir de laquelle il devrait y avoir de moins en
moins de nouveaux infectés et de plus en plus de malades guéris. L’autre
conclusion du groupe pluridisciplinaire des experts nationaux a été que
le COVID-19 va continuer de circuler dans le pays jusqu’au mois d’août,
voire septembre au minimum. C’est sur la base de ces données critiques
que le Président de la République a pris ces décisions courageuses,
appelant le peuple sénégalais à apprendre à vivre désormais en présence
du virus. Comme il l’a dit dans son message en ouoloff, « Gaan gu baña
ñibbi te manu loo tooxu, da ngay xool nooy dëkke ak moom ». Autrement dit
: « si tu as chez toi un invité qui ne veut plus rentrer chez lui et que
tu ne puisses point déménager, tu as intérêt à étudier comment
cohabiter avec lui ». C’est armé de cette sagesse bien de chez nous, que
le Président Macky Sall, loin du relâchement, a opté pour une stratégie
d’adaptation, mais qui replace l’homme investi de toutes ses
responsabilités, au cœur de la stratégie.
Un
de vos prédécesseurs à la Primature du Sénégal a parlé de « démission de
l’État » en parlant des nouvelles mesures d’assouplissement. Qu’en
pensez-vous ?
Il
faut savoir rester modeste dans la vie. C’est une qualité essentielle.
Les chinois disent que « la modestie et la modération sont les deux ailes
du sage ». Tout de même, vous ne pouvez pas être plus intelligent que
les présidents du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Burkina, de
la Tunisie, de la Mauritanie, etc., plus intelligent que tous les
dirigeants du continent et leurs équipes qui viennent de valider avec la
Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique, une stratégie
de déconfinement pour le continent. Vous ne pouvez être plus intelligent
que la terre entière et vous tromper de perspective en permanence. Il y
a bien quelque chose qui ne tourne pas rond chez ceux-là qui ont la
fâcheuse habitude de ruer dans les brancards, avant de battre leur
coulpe, comme quand les étudiants sénégalais de Wuhan avaient sollicité
leur rapatriement. Ce sont encore les mêmes qui nous parlent maintenant
de démission de l’État. Ils se trompent et ils continueront de se
tromper car la responsabilité d’État s’accommode difficilement de la
responsabilité émotionnelle. Et bien entendu, sans responsabilité
individuelle et collective, même avec un confinement intégral et
généralisé, le virus continuerait de se propager. Dans le préambule de
notre Constitution, il est dit expressément que « la construction
nationale repose sur la liberté individuelle », la liberté individuelle
se comprenant aussi comme une responsabilité individuelle. Le
coronavirus ne se déplace point. On le déplace. Dès lors, le
comportement individuel est le premier facteur clé de succès dans la
lutte anti-COVID. Pour dire qu’un État n’est fort que de la
responsabilité individuelle et collective de ses citoyens. C’est ce que
le Président Macky Sall a toujours compris. Nous notons aussi avec lui,
que s’adapter, c’est aussi décider toujours en fonction de l’évolution
de la situation. Je rappelais il y a quelques jours à certains de mes
collègues, que trois mots sont devenus les mots vedettes du petit
Larousse en cette année 2020 : le confinement, le déconfinement et le
reconfinement. Souhaitons et travaillons, tous ensemble, afin que le
Chef de l’État n’ait pas à décider d’un retour en arrière, avec la
suspension des nouvelles mesures d’assouplissement, car ce serait
difficile pour notre économie.
Monsieur le Ministre d’État, qu’est-ce qui change fondamentalement dans la nouvelle stratégie d’adaptation ?
Permettez-moi
d’abord de rappeler certains paramètres essentiels de notre stratégie
de riposte face à la pandémie. Loin du relâchement, mais sans violence
inutile ni faiblesse coupable, le scénario d’adaptation s’appuie sur les
mêmes invariants de rigueur, de discipline et d’action solidaire qui
ont permis de contenir jusqu’à présent le COVID-19, c’est-à-dire :
l’état d’urgence, le couvre-feu, les gestes-barrières désormais rendus
obligatoires, la fermeture des frontières terrestres, aériennes et
fluviomaritimes, l’interdiction des déplacements entre les régions, etc.
Le contexte global est assurément le même, face à la pandémie mais
certaines variables correspondent désormais davantage au besoin de
sauvegarder la vie économique et sociale du pays, parce qu’il y aura un
après-COVID. Gouverner, c’est certes Prévoir mais c’est avant tout
Décider. Et c’est le rôle du Leader, que de Décider. Nos démocraties
parlementaires sont devenues des démocraties d’opinions. Tout est
matière à débat et fort heureusement. Certains pays occidentaux ont payé
cher leurs hésitations sur le confinement ou même sur le port
généralisé du masque, alors que leur stade de développement l’autorise.
Les mêmes hésitations se posent aujourd’hui chez eux, en termes de
déconfinement. En ce qui concerne l’Afrique, nous n’avons pas à hésiter.
La taille du secteur informel africain dans nos économies ainsi que la
modestie des minima et transferts sociaux en faveur des plus démunis, ne
permettent pas de confiner, de verrouiller les populations à double
tour dans des maisons d’arrêt économique. Rien que dans notre pays, ce
sont 50 milliards FCFA de PIB qui sont perdus chaque jour d’inactivité
économique. Est-ce soutenable si cela devait perdurer ? Bien sûr que
non. C’est pourquoi le Chef de l’État a préféré la voie de l’adaptation à
celle de la maison d’arrêt économique pour tous. Et il a bien raison.
Pouvez-vous nous parler des nouvelles mesures et de leur portée économique ?
La
première mesure d’adaptation prise par le Chef de l’État, qu’il nous
faut saluer, est l’allongement de la durée du temps de travail. Une
heure de production par jour, pour tous, à l’échelle d’un pays, c’est
énorme. Avec le COVID-19, le temps de travail dans le secteur public
était fixé par décret, de 9h à 15h et il était demandé au secteur privé
d’en faire autant. Le Président de la République vient de prolonger
d’une heure, ce temps de travail quotidien pour le fixer désormais de 9h
à 16h. Travailler plus, pour produire plus, c’est la direction que nous
indique le Chef de l’État afin que le post-COVID ne soit pas l’ère des
faillites à grande échelle. Au demeurant, c’est cet allongement d’une
heure de la durée du temps de travail qui justifie le recul d’une heure
du début du couvre-feu qui débute désormais à 21h et non à 20h. Vous
observerez que tout a été mis en œuvre par le Président Macky Sall pour
remettre le pays au travail. Il en est de même pour le secteur des
transports publics dans lequel, sur instructions du Chef de l’État, le
gouvernement va prendre les mesures d’assouplissement nécessaires afin
de permettre aux travailleurs agricoles de rejoindre leurs localités,
car l’hivernage approche à grands pas. En ouloff, il s’agit du phénomène
qualifié de « noraan » qui nous est bien utile. Le Président de la
République a par ailleurs mis en place, dans la perspective de la
campagne agricole à venir, une ligne de subventions de 60 milliards FCFA
destinée à l’achat des intrants agricoles. Toutes ces décisions
concourent à produire plus. Ce retour à une certaine normalité dans
l’activité économique s’exprime aussi à travers le retour des activités
commerciales, secteur clé du tissu économique et grand pourvoyeur
d’emplois. Le Chef de l’État a ainsi décidé de l’ouverture des marchés 6
jours sur 7, alors qu’ils étaient encore astreints à des jours
particuliers d’ouverture. Les loumas ou marchés hebdomadaires sont
également rouverts mais sous conditions restrictives, pour éviter les
flux de transports entre les régions ; leurs activités étant désormais
circonscrites au niveau des départements administratifs du pays. Enfin,
les 551.000 élèves sénégalais en classes d’examen sur les 3,5 millions
d’élèves que compte le pays, vont retourner à l’école, avec toutes les
mesures sanitaires requises. La perte d’une année scolaire serait
chèrement payée par la nation car il s’agirait de retarder d’un an,
l’entrée dans le système national de production, de toute une
génération. Il nous fallait l’éviter. Ainsi, le 2 juin, ce demi-million
d’élèves va retourner en classe. Voilà pour les nouvelles mesures
économiques d’adaptation prises par le Chef de l’État.
Les évêques du Sénégal auraient dit non à la nouvelle stratégie du Chef de l’État. Qu’en est-il exactement ?
Nous
devons tous saluer cette position de prudence en cours de formulation
par l’Eglise catholique. Vous savez bien que le Président Macky Sall
entretient d’excellentes relations avec toutes les Autorités religieuses
du pays. Bien entendu, comme toujours dans pareil cas, le Chef de
l’État s’est entretenu avec l’Archevêque de Dakar, Monseigneur Benjamin
Ndiaye et il s’est fortement réjoui de la position de l’Eglise. Je peux
le dire ici. En vérité, quand le Président de la République décide de la
réouverture, sous conditions, des lieux de culte, en instruisant les
ministres de l’intérieur et de la santé d’en définir les contours, c’est
une option que l’État offre. Or une option n’est pas une obligation. Ce
qui est important, c’est que pour toutes ces mesures d’adaptation qui
concourent au retour à une certaine normalité tant au plan économique
que social, le cadre contextuel global demeure le même : état d’urgence,
couvre-feu, fermeture des frontières, limitation des déplacements entre
les régions, distanciation sociale, port du masque obligatoire, etc. En
effet, la fréquentation des lieux de culte, des établissements
scolaires et autres espaces publics, des marchés et autres commerces, y
compris les restaurants, obéira strictement aux mesures de distanciation
physique et sociale et aux gestes barrières. Le port du masque et le
lavage des mains y seront obligatoires. C’est d’ailleurs pourquoi le
Président de la République a déjà décidé de la confection de 10 millions
de masques par nos usines et nos artisans. Ces dix millions de masques
subventionnés sont en cours de production.
Que faut-il faire pour réussir cette nouvelle stratégie ?
De
l’information, de la sensibilisation et de la responsabilité
individuelle et collective. Aucun effort, aucune ressource ne sera de
trop dans cette mobilisation nationale, pour nous libérer du COVID-19.
Les Autorités religieuses et coutumières, les leaders
socio-communautaires, les chefs de villages, les chefs de quartiers, les
badienou gokh, La Croix Rouge, les jeunes volontaires, les
socio-anthropologues qui aident à lever les résistances et les obstacles
et qui luttent contre la stigmatisation des malades, tous, doivent se
mobiliser à l’échelle communautaire pour appuyer notre vaillant corps
médical. C’est par le consensus national dans l’effort collectif, la foi
en notre nation et la discipline individuelle et collective, que nous
nous nous tirerons d’affaire. Le Président de la République a posé les
jalons de ces grandes retrouvailles nationales autour de l’essentiel,
c’est-à-dire le Sénégal. Tous ensemble, unis et solidaires, nous
réussirons.