Face à l’Etat absent, Haïti tente de s’organiser
Si l’épidémie n’a pas encore fait de mort en Haïti, le pays se
prépare à l’arrivée du COVID-19. Mais en l’absence de directives claires
de la part des autorités, c’est la société civile et le secteur privé
qui se mobilisent, comme le confirme Frantz Duval dans une interview à
RFI.
Seize personnes ont été
officiellement testées positives en Haïti ce jeudi 2 avril, et près de
400 autres placées en quarantaine. Dans un pays déjà en proie à une
crise politique et sociale qui n’en finit pas, mettre en place les
mesures et les moyens pour tenter d’éviter une catastrophe sanitaire
réclame des efforts de la part de tous.
Les
initiatives ne manquent pas en Haïti pour tenter de se préparer à une
épidémie de COVID-19, comme a pu le constater le quotidien Le
Nouvelliste lundi 30 mars. Invité à une visite guidée de l’hôpital
Sacré-Cœur de Milot, dans le nord d’Haïti, le quotidien a pu constater
l’avancée des mesures pour la prise en charge desvmalades atteints du
COVID-19.
« L’Hôpital de Milot fait partie des
structures par des ONG haïtiennes. Ce sont des hôpitaux privés mais qui
fournissent un service à la population sans qu’elle ait à payer »,
explique Frantz Duval. L’Hôpital de Milot est « le deuxième
établissement hospitalier en Haïti qui dit être officiellement prêt à
recevoir des cas de COVID-19 », précise le rédacteur en chef du
quotidien. L’autre hôpital ayant annoncé être en mesure de prendre en
charge des patients est celui de Mirebalais, également géré par une ONG.
Lors
de cette visite guidée organisée par les responsables de cette
structure, Le Nouvelliste a pu constater la mise en place de 10 lits
pour prendre en charge des patients jugés critiques et 24 autres pour
des patients ne présentant pas de complications. L’Hôpital, précise Le
Nouvelliste, a été scindé en deux : une partie dédiée aux personnes
ayant contracté le Covid-19, et une autre pour les autres patients. La
question de la mise en quarantaine n’a pas été oubliée non plus selon
Frantz Duval : « En Haïti pour le moment il n’y a pas de solution pour
ceux qui sont positifs mais qui n’ont pas de symptômes. Il est compliqué
de respecter une quarantaine à domicile, difficile de garder les gens à
l’hôpital. Des établissements hospitaliers privés réfléchissent à une
manière de les garder et les alimenter pour qu’ils ne rentrent pas chez
eux et qu’ils ne soient pas en contact de parents ou de personnes qui ne
sont pas affectées par le COVID-19 ».
Les
structure privées sont donc en avance sur les structures publiques,
avance le rédacteur en chef du Nouvelliste : « Jusqu’à présent les
autorités haïtiennes, les hôpitaux gérés par l’Etat ne sont toujours pas
en mesure de dire quels sont les centres qui pourront accueillir des
personnes affectées par ce virus ». Les scouts lancent la fabrication de masques artisanaux
Il
n’y a pas que le secteur privé et associatif qui se mobilise. Alors que
l’Etat haïtien ne communique que très peu sur le sujet, une initiative
de la société civile haïtienne va permettre de mettre en place une
structure à même de fabriquer des masques de protection. Lancée par des
scouts, elle bénéficie désormais du soutien de plusieurs organisations. «
Les scouts avaient commencé par créer des points de lavage des mains.
Ils sortaient dans la rue et proposaient aux gens de se laver les mains.
Ensuite les scouts se sont rendus compte qu’il serait nécessaire
d’avoir des masques et que ces derniers n’étaient pas disponibles dans
le pays. Ce n’est pas un accessoire utilisé en Haïti, il est réservé au
monde médical. Il n’y a pas de stock, les masques sont chers. Lorsqu’ils
ont lancé cette initiative, plusieurs ONG ont décidé de les rejoindre
».
Une coalition baptisée « Koud Konbit » a
donc été lancée. Un système qui s’appuie sur des employés qui
travaillaient dans l’artisanat ou la sous-traitance et qui aujourd’hui
n’ont plus d’emplois et donc plus de revenus. Ces derniers vont recevoir
chez eux des patrons et le tissu pour coudre et confectionner ces
masques. « Ce seront des masques artisanaux », explique Frantz Duval, «
mais ce sera mieux que rien. Comme il n’y a pas d’autres masques, il
faudra faire avec les moyens du bord ». « Koud Konbit » a lancé un appel
pour recevoir du tissu et des fonds. Les masques seront vendus, mais à
un prix abordable. Le but : être capable de fabriquer 10 millions de
masques en Haïti.
La question des morts, un souvenir douloureux
Dans
cette crise épidémique, la question des morts revient souvent. Un sujet
qui fait d’ailleurs la Une du Nouvelliste. Comment les prendre en
charge, dans quelle structure ? Sans protocole et sans morgue, la
situation s’annonce compliquée en Haïti, explique Frantz Duval : « Haïti
avait été frappé après le séisme de 2010 par cette incapacité à
enterrer beaucoup de gens en même temps. Rien n’avait été prévu. Des
fosses communes avaient été faites à la va-vite. Aujourd’hui Le
Nouvelliste tire la sonnette d’alarme. Il faut commencer à y penser,
décider ce qu’on va faire, d’autant plus qu’il n’y a pas de morgue
municipale, pas de morgue de grande capacité. C’est une myriade
d’institutions privées qui s’occupent des morts. Il n’y a pas de
protocole. Même ces morgues privées ne savent pas comment traiter la
dépouille d’une personne qui serait décédée du Covid-19 ».Si
les autorités haïtiennes, dans leur plan de prise en charge du Covid-19,
ont annoncé que des sacs funéraires seraient nécessaires pour chaque
cadavre, à l’heure actuelle ces sacs sont invisibles. Cette absence de
protocole inquiète le secteur des pompes funèbres ainsi que celui des
morgues, d’où cette question du Nouvelliste : « Qu’allons-nous faire
pour résoudre ce problème dans un pays qui a eu à enterrer des morts
dans de très mauvaises conditions après le séisme de 2010 ? ».
Les associations de journalistes exhortent les autorités à prendre des mesures
Alors
que le risque de propagation du Covid-19 est de plus en plus réel, le
Réseau haïtien de journalistes en santé (RHJS) et l’Association des
journalistes haïtiens ont exhorté mardi 1er avril, dans une note
conjointe, les autorités du pays à mettre en place un confinement
pendant, au moins, 14 jours. Les journalistes appellent également à la
mise en place de tests de dépistage et le placement en quarantaine pour
endiguer la propagation du virus.
« On a l’impression que les autorités haïtiennes ne prennent pas encore toute la mesure de ce qui se passe, qu’elles ne regardent pas les actualités à l’étranger, comment très vite on peut passer de quelques cas à des milliers de cas », explique Frantz Duval, « d’où cet appel pour le confinement, pour que les gens portent des masques dans les lieux publics, que les zones touchées soient placées en quarantaine. Mais pour l’instant les autorités haïtiennes réagissent avec quelques jours de retard à chaque proposition faite par la société civile ». Or chaque jour compte dans cette course pour éviter une épidémie en Haïti.