Coronavirus: disparition en Espagne de l’écrivain chilien Luis Sepúlveda
Son nom est à ajouter à la liste des nombreuses victimes du Covid-19 en Espagne. L’écrivain chilien Luis Sepúlveda, 70 ans, avait été diagnostiqué positif fin février alors qu’il revenait de rencontres littéraires au Portugal. Hospitalisé à l’hôpital universitaire central des Asturies, à Oviedo, il est décédé ce 16 avril sur sa terre d’adoption.
« Raconter, c’est résister », aimait à dire Luis Sepúlveda, qui avait fait sienne cette maxime d’un autre géant de la littérature latino-américaine, brésilien cette fois, João Guimarães Rosa. Un écrivain à l’unique roman, Diadorim, en contraste total avec l’œuvre foisonnante de Luis Sepúlveda.
Le coup de coeur du public français
Et il était sans doute l’écrivain latino-américain le plus lu en Europe. Son premier roman, Le vieux qui lisait des romans d’amour, publié en 1993, avait été un incroyable succès d’édition. « Sepúlveda était inconnu, même au Chili quand on a commencé à le publier, racontait son éditrice Anne-Marie Métailié. Et son succès, il le doit au public français, 36 000 avaient déjà été vendus quand le premier article sur lui a été publié ».
Les aventures de Antonio José Bolívar Proaño, le vieux qui lira des romans d’amour pour oublier la barbarie des hommes dans la jungle équatorienne, auprès des Indiens Shuars, où vécut un temps Luis Sepúlveda, a été traduit en plus de trente langues et fait connaître le Chilien dans le monde entier. En Italie, où les librairies réouvrent peu à peu depuis la mi-avril, Marilia Di Giovanni raconte à l’agence Agi que le premier livre qu’elle a vendu dans sa librairie de Syracuse e premier livre qu’elle a vendu est Le vieux qui lisait des romans d’amour« , de Luis Sepulveda, l’écrivain chilien infecté par le coronavirus, raconte-t-elle à l’agence Agi…
Un écrivain voyageur
Les titres s’enchaînent, les succès et les prix aussi et certaines de ses oeuvres sont adaptées au cinéma. Avec un fil rouge. « Dans la littérature se reflète la position éthique de l’auteur, et je sais pour qui j’écris : l’immense foule des perdants », disait Luis Sepúlveda. Militant des jeunesses communistes, l’écrivain, né le 4 octobre 1949 à Ovalle, dans le nord du Chili, est emprisonné sous le régime de Pinochet et condamné à vingt-huit ans de prison.
Il passera deux ans et demi derrière les barreaux et sera libéré grâce à l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International, puis prend comme des milliers de Chiliens – après le coup d’État de 1973 – la route de l’exil. Luis Sepúlveda voyage à travers l’Amérique latine – Équateur, Pérou, Colombie et Nicaragua où il soutient la révolution sandiniste de 1979 – et finit par poser son sac en Allemagne – naturalisé Allemand, il n’a retrouvé qu’en 2017 sa nationalité chilienne – puis en France et enfin dans les Asturies, à Gijón, où il créera un salon de la littérature latino-américaine. Un écrivain voyageur familier aussi du Festival international des écrivains voyageurs organisé chaque année à Saint-Malo par Michel Le Bris.
« J’écris du côté gauche de la barricade »
Dénoncer les régimes autoritaires – La folie de Pinochet est un livre coup de poing –, donner la parole aux humbles, raconter et défendre la nature, autant de batailles au cœur de ses livres avec des personnages récurrents comme les baleines disparues du détroit de Magellan dans Le Monde du bout du monde ou L’histoire de la baleine blanche, son dernier livre paru chez Métailié qui mêle un conte traditionnel des peuples lafkenche du sud du Chili avec l’épopée de Moby Dick d’Herman Melville. Mais c’est la baleine qui raconte l’histoire, magique et triste !
Son oeuvre embrasse tous les publics, de 7 à 77 ans et mêle épopée – on y retrouve les accents de Francisco Coloane, autre conteur chilien-, fable politique et humour (parfois) noir comme dans L’ombre de ce que nous avons été, roman à tiroirs racontant les mésaventures de trois militants de gauche, trois pieds nickelés de retour dans leur pays après des années d’exil. « Je ne peux pas imaginer la littérature autrement que comme un acte de résistance contre tout ce que je trouve sale et injuste », disait Luis Sepúlveda. Résister toujours: l’écrivain avait soutenu les manifestations pour plus de justice sociale au Chili et, au micro d’Orlando Torricelli, de la rédaction en espagnol de RFI, avait demandé la démission du président Piñera.
Faire parler les baleines, les mouettes et les chats, rend le monde plus supportable. « Lire fait du bien », décidément.