Ce que vous ignoriez (peut-être) sur l’état d’urgence au Sénégal
Le président de la République,
Macky Sall, a décrété l’état d’urgence depuis 00h, ce mardi, sur toute
l’étendue du territoire national. Ce, pour permettre aux autorités
sanitaires de faire face à la pandémie du coronavirus qui est en train
de gagner du terrain dans le pays (71 cas sous traitement et plus de
1500 potentiels suspects à suivre). Prétexte pour Seneweb de voir ce que
renferme l’état d’urgence qui, en réalité, n’est pas une nouveauté dans
l’histoire du Sénégal.
Pour
comprendre l’état d’urgence, il faut se référer à loi N° 69-29 du 29
avril 1969 présentement en vigueur qui l’a institué de même que l’état
de siège. D’emblée, il faut retenir qu’en de pareilles circonstances, la
légalité est mise en veilleuse et que l’autorité dispose de plus de
pouvoirs publics exorbitants de police administrative. La finalité est
souvent de restreindre l’exercice de certaines libertés publiques : la
liberté de circulation, la liberté de presse, les réunions publiques
qui, en temps normal, sont strictement protégées par le juge.
Définition
L’état
d’urgence, tout comme l’état de siège, est institué dans les conditions
prévues à l’article 58 de la constitution qui précise en son alinéa 1er
que : « le président de la République est détenteur du pouvoir
réglementaire et dispose de l’administration ».
Selon
les dispositions de l’article de la loi du 29 avril 1969, « l’état
d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la
République du Sénégal, soit en cas de péril imminent résultant
d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de menées subversives
compromettant la sécurité intérieure, soit en cas d’évènements
présentant, par leur nature et leur gravité, un caractère de calamité
publique ».
À
signaler toutefois que le décret instituant l’état d’urgence détermine
la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il
entre en vigueur.
En
outre, « la déclaration de l’état d’urgence donne pouvoir à l’autorité
administrative compétente de réglementer ou d’interdire la circulation
des personnes, des véhicules ou des biens dans certains lieux et à
certaines heures, d’instituer des zones de sécurité où le séjour des
personnes est réglementé ou interdit, d’interdire le séjour dans tout ou
partie d’une ou de plusieurs circonscriptions visées à l’article 2, à
toute personne cherchant à entraver de quelque manière que ce soit
l’action des pouvoirs publics, d’interdire, à titre général ou
particulier, tous cortèges, défilés, rassemblements et manifestations
sur la voie publique ».
L’autorité
administrative compétente peut également ordonner l’assignation à
résidence dans une circonscription territoriale ou une localité
déterminée à toute personne dont l’activité s’avère dangereuse pour la
sécurité et l’ordre publics ou qui cherche à entraver l’action des
pouvoirs publics. Une assignation qui doit, toujours d’après les
dispositions de la loi sur l’état d’urgence, permettre à ceux qui en
sont l’objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiat
d’une agglomération.
« L’autorité
administrative compétente peut ordonner la fermeture provisoire des
lieux publics -tels que salles de spectacles, débits de boissons et
lieux de réunions-, interdire, à titre général ou particulier, les
réunions publiques ou privées, de quelque nature qu’elles soient,
susceptibles de provoquer ou d’entretenir le désordre » (article 6).
Aussi,
peut-elle ordonner en même temps la mise en fourrière de tous véhicules
dont les conducteurs auront tenté de se soustraire au contrôle des
services de police.
Il
est à préciser que « la déclaration de l’état d’urgence ouvre le droit
de réquisition des personnels, des biens et des services dans les
conditions et sous les pénalités prévues par la loi ».
De lourdes sanctions
Le
législateur sénégalais a prévu de lourdes sanctions contre les
éventuels récalcitrants. En effet, en vertu de l’article 21 de la loi
relative à l’état d’urgence, « les infractions aux dispositions de la
présente loi seront punies d’un emprisonnement de 2 mois à 2 ans et
d’une amende de 20.000 à 500.000 francs ou de l’une de ces deux peines
seulement ».
À
l’endroit de la presse, rappelons que l’article 10, alinéa 2 de la loi
69-29 du 29 avril 1969 relative à l’état d’urgence et à l’état de siège
donne à l’autorité administrative compétente le pouvoir de contrôler la
presse et les publications de toute nature.
Toutefois,
poursuit l’article suivant du texte législatif, « l’exécution d’office
par l’autorité administrative ou l’autorité militaire des mesures
prescrites en application des dispositions de la présente loi peut être
assurée indépendamment de toute action pénale. Les mesures de sûreté,
interdiction de séjour, assignation à résidence, internement
administratif ne peuvent être maintenus à l’encontre des membres de
l’Assemblée nationale qu’avec l’accord de l’Assemblée nationale obtenu
dans les trois jours ».
Trois Présidents, trois états d’urgence
Le
Sénégal indépendant a connu dans le passé, trois fois l’état d’urgence.
En effet, c’est en 1968, que le premier Président, Léopold Sédar
Senghor, l’avait décrété suite aux événements de mai 68. Le Sénégal, à
l’instar de la plupart des pays du monde, avait connu une vague de
contestations estudiantines et syndicales pendant cette date. Parti
d’une révolte des étudiants de l’université de Dakar, la «18ème
université française», le mouvement, qui s’étendit aux élèves des lycées
et aux syndicats de travailleurs, bénéficia du soutien de franges
importantes de la population tandis que l’État pouvait compter sur la
loyauté de l’armée, le soutien des marabouts et de certaines populations
rurales.
Vingt
(20) ans plus tard, en 1988, Abdou Diouf l’a réédité après la
présidentielle mouvementée qui avait conduit à une année blanche.
Ce
23 mars 2020, Macky Sall est le troisième Président du Sénégal à le
décréter suite à une crise sanitaire mondiale causée par le Covid-19.