« La Russie fait le pari que la crise du coronavirus est temporaire »
ENTRETIEN. L’expert pétrolier et directeur de recherche à l’Iris Francis Perrin analyse la rupture de l’accord entre l’Opep et la Russie.
Le coronavirus fait une victime supplémentaire : l’alliance entre l’Opep et la Russie. Le 6 mars, Moscou a refusé de se soumettre aux efforts de réduction de production exigés par l’Arabie saoudite pour enrayer la chute du prix du pétrole. L’objectif de Riyad visait à obtenir une diminution de 1,5 million de barils par jour. Moscou a dit « niet ». Résultat ? L’Arabie saoudite renonce à son tour à réduire ses volumes et offre même à ses clients une remise de 6 à 8 dollars sur le prix du baril. Une guerre commerciale qui nourrit la panique des marchés. Fait exceptionnel : le montant du baril a plongé de 20 dollars en une journée pour se situer aux alentours de 35 dollars.
Le Point : Pourquoi l’Arabie saoudite renonce-t-elle finalement à contracter sa production ?
c
Francis Perrin : L’Arabie saoudite n’apprécie pas le « niet » russe et décide de passer d’une stratégie de défense des prix à une stratégie de défense de ses parts de marché. C’est la fin de trois ans de coopération entre les pays de l’Opep et les dix pays non-Opep dont fait partie la Russie.
Comment expliquer la décision de la Russie de faire voler en éclats cette coopération ?
Le refus de la Russie s’appuie sur trois éléments. D’abord, les compagnies pétrolières russes n’étaient pas favorables à une nouvelle réduction de leur production. Un effort qu’elles ont déjà consenti à plusieurs reprises. Et elles l’ont fait savoir à leurs autorités. Ensuite, Moscou estime que la crise du coronavirus est temporaire et qu’il ne faut pas s’affoler. Qu’il suffit de faire le dos rond. Que les choses vont passer. Enfin, la Russie observe le concurrent américain devenu le premier producteur mondial de pétrole. Or que voit-elle ? Que les États-Unis continuent d’augmenter leur production et gagnent des clients. Compte tenu de la relation difficile entre les deux puissances, la Russie ne pouvait pas rester inactive. Elle engage donc un bras de fer.
Peut-elle le gagner ?
Elle fait ce pari. Elle se dit qu’un prix du baril très bas contraindra les compagnies américaines à fermer des puits. Car n’oublions pas qu’aux États-Unis l’activité pétrolière est aux mains d’acteurs privés qui évaluent la situation en termes de rentabilité et de réserves. C’est un scénario possible. D’autant qu’il s’est déjà produit en 2016, lorsque le prix du baril a plongé à moins de 30 dollars. La hausse continue de la production américaine s’est alors interrompue.
Propos recueillis par Marc Nexon