Vétusté, manque d’hygiène… Quand des lycéens de Dakar se privent des toilettes toute la journée
A l’école certains élèves préfèrent ne pas se rendre aux toilettes parfois durant une journée entière. Face à la vétusté ou au manque d’hygiène des lieux, certains élèves se privent de faire leurs besoins malgré eux. Et pourtant, selon un médecin urologue, une personne adulte doit vider sa vessie toutes les quatre heures…
Au lycée Blaise
Diagne la pause de 10h rend bruyante la cour. Les groupes d’élèves se
déchaînent et des foules irréfléchies se forment à des millimètres près.
Les discussions et les railleries mêlées aux éclats de rire déchirent
l’atmosphère. Certains élèves s’éloignent des débats préférant se ruer
vers les toilettes pour soulager leur vessie avant la fin de la courte
pause de 15 minutes.
Au fond de la cour, derrière les bâtisses de la
grande école, les toilettes exercent un attrait particulier de par sa
présentation.
« Toilettes Hommes Interdit aux Femmes », a-t-on
inscrit en caractère capitale sur le mur avec une flèche marquant la
différence entre les W.C des garçons et des filles.
Au seuil des
toilettes, la forte odeur émanant des cabines pique les yeux. Rester
dans ces lieux est un défi. Ainsi, les élèves y entrent et sortent
presque en courant.
A côté, une dizaine de cabines servent de lieu
de soulagement pour les filles. Les toilettes sont presque vides, les
portes grandement ouvertes attendant des assaillantes. Elles n’attirent
pas autant de monde car la pause a tiré à sa fin.
A plusieurs mètres
des lieux, deux jeunes filles en classe de Première profitent de
l’absence du professeur pour manger à plein gosier leur petit déjeuner.
«J’utilise les toilettes de l’école certes mais lorsque j’ai mes
menstrues je n’y pense même pas », explique Nafi D. entre deux bouchées
de pain. «Je préfère attendre d’arriver chez moi», poursuit-elle sous
l’approbation de son amie Fatou N.
«Je ne suis pas à l’aise dans les
toilettes honnêtement», lâche cette dernière en grimaçant légèrement.
L’hygiène des toilettes est mise en cause par les deux filles.
«
C’est pire lorsque parfois il n’y a qu’une cabine opérationnelle. On est
obligé de faire le rang pour y aller et là je préfère rentrer chez moi
», appuie Aïssatou qui ne compte pas aller dans les maisons aux
alentours.
La journée continue favorise la rétention urinaire
Dans la plupart des écoles, les heures de cours sont enchaînées avec des pauses d’une quinzaine de minutes entre les cours.
« Depuis deux ans je suis dans cette école, je n’ai jamais mis les
pieds aux toilettes », jure Abdou Lahad G. En plus du manque d’hygiène
évoqué par le jeune homme, il ne souhaiterait pas interrompre ses cours
pour aller aux toilettes. Pour ne pas fréquenter les cabines scolaires,
le jeune homme «limite» ce qu’il mange la journée.
« Nous avons
cours de 8h à 16h avec des pauses de quinze minutes. Nous ne pouvons pas
aller manger, boire et faire nos besoins dans cet intervalle et même
parfois le prof grignote sur la pause», confie Mouhamed S., un jeune
élève de première en ajustant ses lunettes.
Sa stratégie c’est
d’aller au petit coin juste après le début des cours. Selon lui, à cette
heure, vers 8h 15, les toilettes sont encore propres car elles viennent
d’être nettoyées sinon le reste de la journée, il garde ses besoins
jusque chez lui.
A quelques kilomètres du lycée Blaise, se trouve le
lycée Mixte Maurice Delafosse. De l’avis de Marième D., «si je dois
terminer tôt ou si je suis en devoir ou en cours je préfère ne pas aller
aux toilettes et attendre d’arriver chez moi », lance-t-elle en fermant
le dernier bouton de sa chemise.
La rétention urinaire est un fait
très récurrent dans les établissements. Le souci de rater quelques
minutes du cours, l’hygiène des toilettes sont autant de facteurs qui
retiennent certains élèves d’aller se soulager.
Diery DIAGNE
DR ISSA LABOU, UROLOGUE A L’HOGIP
La rétention urinaire conduit à des infections
Ne pas soulager intentionnellement sa vessie mène à des complications du système urinaire surtout sur le long terme.
De l’avis du spécialiste exerçant à l’Hôpital Général Idrissa Pouye de
Grand Yoff, Issa Labou, de plus en plus de femmes présentent des
infections urinaires. C’est signe que la rétention urinaire est un
problème récurrent chez les femmes bien qu’elles ne soient pas les
seules concernées.
La cause, dans beaucoup de lieux, les toilettes
ne sont pas adaptées aux femmes. Sachant qu’une personne adulte doit
vider sa vessie toutes les quatre heures.
Les infections urinaires
constituent la conséquence directe, mais bien plus grave : «garder ses
urines favorise la pullulation des microbes dans la vessie et crée des
infections à répétition. Ça peut se propager sur les reins », explique
l’urologue.
Toujours selon lui, « il y a une autre complication : la
distension vésicale ». Il s’agit de la diminution de la force
musculaire de la vessie qui intervient lors de la poussée de l’urine. La
distension vésicale, à son tour, fait que les urines restent dans la
vessie. Tout ne sera pas évacué. «Des calculs urinaires aussi peuvent se
retrouver dans la vessie », ajoute-t-il.
Le spécialiste ne manque pas de souligner que l’impact est le même aussi bien pour les filles que les garçons.