Tunisie : une mosaïque gouvernementale
ANALYSE. Dix-huit semaines après les législatives, un second projet de gouvernement a vu le jour. Il doit obtenir l’aval du Parlement.
La politique tunisienne ne se prête guère à la contemplation. C’est deux heures trente avant l’heure limite fixée par la Constitution qu’Elyes Fakhfakh a enfin décliné la composition de son gouvernement. Après trente jours de négociations, de coups de Jarnac, de vase de Soisson brisé, le quadra a réussi à finaliser son équipe. Il lui reste, détail d’importance, à obtenir un vote de confiance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Aujourd’hui, le président de la République Kaïs Saïed enverra une correspondance officielle à l’Assemblée des représentants du peuple afin qu’une plénière soit fixée.
Krack, couacs et bluff
Après le krack politique du week-end précédent, la situation est redevenue in extremis gérable. Il le fallait. Kaïs Saïed avait tonné : ce sera la confiance, sinon des élections législatives anticipées. Il semblerait que ce président atypique (sans parti) ait remporté le premier bras de fer qui l’opposait au parti islamiste Ennahdha. Ce dernier acceptait mercredi ce qu’il refusait samedi en expliquant la nécessité de « l’union nationale ». Elyes Fakhfakh, choisi par Kaïs Saïed, a dévoilé officiellement ses choix ministériels. Choix qui forment de facto une large coalition. Six partis sont représentés aux côtés d’indépendants nommés aux postes régaliens.
Des ex reprennent leurs maroquins
Ils sont plusieurs à revêtir une nouvelle fois les habits de ministre. Par trois fois, Mongi Marzouk le fut. Ce polytechnicien reprend le ministère qu’il occupait en 2016 : celui de l’Énergie, des Mines et de la Transition énergétique. Idem pour Abdellatif Mekki, qui reprend le gouvernail du ministère de la Santé pour la troisième fois. Il a occupé ces fonctions de 2011 à 2014 sous les deux gouvernements menés par les islamistes. Autre membre d’Ennahdha, Lotfi Zitoun. Celui qui avait démissionné de ses fonctions de conseiller politique en juillet dernier reprend l’ascendant : il s’occupera des affaires locales, un dossier clé pour Ennahdha. Le parti a remporté les municipales (130 villes sur 350 ) et souhaite faire de ce terreau local un laboratoire économique et social.
Une magistrate à la Justice
Aux postes régaliens (Défense, Intérieur…), des indépendants. La Themis tunisienne se nomme Thouraya Jeribi. La présidente du tribunal de première instance accepte un portefeuille difficile, miné. Dans un contexte de forte corruption, elle devra réformer cet édifice qui manque de moyens tant pour appliquer la loi qu’en termes d’infrastructures. Mohamed Abbou, le président du Courant démocrate, parti résolument anticorruption, devient le ministre de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption. Aura-t-il les moyens de satisfaire l’intitulé de son portefeuille ? Le secrétaire général de son mouvement, l’avocat Ghazi Chaouachi, prend en charge les domaines de l’État et les affaires foncières. Troisième figure du parti à accéder à l’exécutif : Mohamed Hamdi, originaire du gouvernorat de Medenine (gouvernorat du sud), obtient l’Éducation. Cet ancien professeur, ex-syndicaliste à l’UGTT (puissant dans l’administration), est un nationaliste arabe. Ce ministère ruiné sous Ben Ali, la dictature ne souhaitant pas produire d’esprits critiques, attend son lot de réformes.
Un gouvernement de consensus
La Tunisie a obtenu un prix Nobel de la paix en 2015 pour son « dialogue national ». Un processus qui avait réuni autour d’une immense table ronde patronat, syndicat, avocats, partis afin de nommer un gouvernement de technocrates. Le consensus à la tunisienne est né. Il perdure depuis. Béji Caïd Essebsi a fait toute sa campagne de 2014 contre le parti islamiste. Avant de gouverner avec lui sitôt les urnes remisées. Elyes Fakhfakh, sous l’autorité de Kaïs Saïed, a concocté une équipe où l’on retrouve les fragiles équilibres d’un Parlement divisé. Il devrait obtenir un vote de confiance sans difficulté. Maintenant que les problèmes humains et politiciens ont été réglés, on attend de connaître la nature du programme. Fakhfakh est un social-démocrate. Le pays attend un État protecteur en cette période de crise économique. Son discours de politique générale devant les députés sera son second test politique.