Israël-Palestine : la France a-t-elle perdu sa voix ? Soutien historique de la solution à deux États, Paris est resté discret à la suite de l’annonce du plan Trump. Un silence gêné que dénoncent d’anciens diplomates.

Israël-Palestine : la France a-t-elle perdu sa voix ? Soutien historique de la solution à deux États, Paris est resté discret à la suite de l’annonce du plan Trump. Un silence gêné que dénoncent d’anciens diplomates.

Le « plan de paix » de Donald Trump sur le Proche-Orient n’en finit pas de bouleverser les acteurs traditionnels du conflit israélo-palestinien. En faisant la part belle aux demandes de la droite israélienne – il ouvre la voie à une annexion immédiate par Israël des colonies en Cisjordanie et de la vallée stratégique du Jourdain – tout en restant très évasif sur les conditions d’un futur État palestinien, qui devra être démilitarisé, discontinu et non souverain, ce document de 180 pages a placé les alliés des États-Unis, dont la France, dans une situation inconfortable.

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Le 29 janvier dernier, en réaction à la divulgation du plan, le ministère français des Affaires étrangères a publié un communiqué saluant « les efforts du président Trump » et annonçant qu’il « étudiera avec attention le plan de paix qu’il a présenté ». Ce faisant, le Quai d’Orsay rappelle que « la solution des deux États, en conformité avec le droit international et les paramètres internationalement agréés, est nécessaire à l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient ». « En rappelant les paramètres nécessaires à la paix, ce communiqué explique bien, en langage diplomatique, que l’on n’est pas d’accord avec le plan de Trump, explique un diplomate sous le couvert de l’anonymat. Connaissant la propension de Donald Trump à parfois incriminer ses alliés, on ne va pas jeter de l’huile sur le feu en critiquant directement son initiative. »

Communiqué « complaisant »

Pourtant, ce communiqué, s’il a été suivi de plusieurs déclarations officielles rappelant l’attachement de la France à la solution à deux États, a beaucoup fait jaser dans le milieu feutré de la diplomatie française. « Quand on dit que l’on salue un plan, cela signifie qu’on l’accueille positivement », estime l’ancien diplomate français Denis Bauchard, spécialiste du Moyen-Orient. « Ce communiqué est extrêmement complaisant vis-à-vis de l’initiative américaine. Or il ne s’agit pas d’un plan de paix, mais d’annexion, poursuit-il. Il est tout à fait contraire au droit international et aux résolutions de l’ONU et pose de telles conditions à la création d’un État palestinien qu’il l’exclut en réalité. »

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Membre du « club des vingt » (un collectif d’anciens ministres, d’universitaires, d’auteurs et de diplomates, NDLR), Denis Bauchard a cosigné un communiqué intitulé « Lâcheté européenne ». Il y fustige le silence de l’Europe et de la France, pourtant soutiens traditionnels d’un État palestinien comme de la sécurité de l’État hébreu, face au plan de paix de Trump. À Bruxelles, Josep Borrell, le nouveau haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, a tenté de trouver une réponse européenne commune à l’initiative de la Maison-Blanche. Mais il s’est heurté au refus de plusieurs États membres européens, dont la Hongrie, l’empêchant d’adopter un communiqué au nom des 27.

Europe divisée

Cela fait plusieurs années que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou se rapproche des pays d’Europe de l’Est (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) pour mieux obtenir leur soutien, et ainsi diviser l’UE sur le conflit israélo-palestinien. Dans l’impossibilité de réunir tous les pays membres autour du rejet du plan Trump, c’est donc en son propre nom que le chef de la diplomatie européenne a haussé le ton face à Washington et Tel-Aviv. Dans un communiqué publié le 4 février, Josep Borrell estime que l’UE demeure « particulièrement préoccupée par les déclarations sur la perspective d’une annexion de la vallée du Jourdain et d’autres parties de la Cisjordanie ». Et le haut représentant de prévenir : « Les mesures en vue de l’annexion, si elles sont mises en œuvre, ne pourraient pas passer sans être contestées. »

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« L’Union européenne en tant qu’entité a échoué à être à la hauteur de ses principes et ses objectifs de politique étrangère, même s’il existe quelques efforts individuels comme l’initiative de Josep Borrell », estime Hugh Lovatt, chercheur à l’European Council on Foreign Relations (ECFR) pour le Maghreb et le Moyen-Orient. « Le consensus est difficile à obtenir lorsqu’un pays ne cesse de tout bloquer, lorsqu’on ne veut pas fâcher Donald Trump ou quand d’intenses pressions américano-israéliennes sont exercées sur les États membres. »

Silence de Macron

À New York non plus, la question israélo-palestinienne ne fait pas l’unanimité. Faute de pouvoir réunir les neuf voix indispensables à son vote, avant un probable veto américain, les Palestiniens ont même dû renoncer à présenter au Conseil de sécurité une résolution rejetant le « plan de paix » de Donald Trump. « Il est insensé de reprocher à la France de ne pas hausser le ton sur le plan de paix de Trump alors que tous les autres pays ont eu la même réaction », peste ainsi le diplomate précité.

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Pourtant, depuis son élection à la présidence de la République en 2017, Emmanuel Macron tente de faire entendre la voix singulière de la France en politique étrangère. Revendiquant sa capacité à parler avec tous les acteurs de la planète, le président français a, entre autres, repris langue avec la Russie et lancé une périlleuse médiation avec l’Iran. Sans succès apparent pour l’instant. Mais, sur l’épineux conflit israélo-palestinien, le chef de l’État demeure autrement plus sage. Contrairement à son prédécesseur François Hollande qui avait accueilli en janvier 2017 une conférence de paix à Paris [boycottée par les Israéliens, NDLR], Emmanuel Macron demeure sur la réserve, ne souhaitant pas pour l’heure s’engager sur un dossier miné et risqué politiquement.

« Risque démographique »

Lors d’une discussion, fin janvier, avec un jour des confidences du Figaro, le président français aurait même pris ses distances avec la solution à deux États, mantra de la diplomatie française, préférant parler de « deux souverainetés » en Cisjordanie. Pendant ce temps, à chaque nouvelle annonce de construction dans les colonies israéliennes, pourtant illégales au regard du droit international, le Quai d’Orsay se charge de faire part de sa « préoccupation » ou de sa « condamnation », tout en rappelant l’attachement de la France à la solution à deux États. Or celle-ci semble aujourd’hui plus que jamais menacée par la colonisation israélienne, que vient légaliser le « plan de paix » de Donald Trump.

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Annoncée comme imminente par Benyamin Netanyahou, l’annexion par Israël des colonies et de la vallée du Jourdain a pour l’heure été reportée, sous pression de l’administration Trump. Mais le Premier ministre israélien, en campagne pour sa réélection, tout comme son adversaire centriste Benny Gantz ont d’ores et déjà annoncé qu’ils l’appliqueraient en cas de victoire au scrutin du 2 mars prochain. Pourtant, selon l’ancien diplomate Denis Bauchard, l’annexion placera inexorablement Israël face à un dilemme cornélien contre lequel la France devrait l’alerter. « Soit l’occupation perpétuelle des populations palestiniennes, sans pour autant leur accorder le droit de vote, ce qui équivaut à une forme d’apartheid ; soit, en cas de vote pour tous, le risque pour Israël, en raison de la plus forte démographie palestinienne, de ne plus être dirigé à terme par une majorité juive. »

Souare Mansour

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